Costume sombre, mine sombre, le duc von Gotha semblait en deuil, aussi fermé et taciturne qu’après le décès de son épouse, il y avait bientôt 17 ans… Il parcourait sans trop les voir les escaliers et couloirs improbables de l’hôpital, vers une section interdite au publique pour laquelle Sa Grandeur (et son argent) lui avait obtenue un laisser-passer.
Elle était tenue au secret, c’était déjà ça. Son nom n’apparaissait pas dans les journaux, contrairement à celui du jeune McBlake qui prenait presque valeur de trophée de chasse… Mais elle, son honneur était encore sauf, et par conséquent, sa valeur aussi. Quoi qu’elle put difficilement chuter à l’Est de l’Europe, les crises de démence étant monnaie commune, ou presque, en tout cas chez ses semblables. Quoi qu’il en soit, c’était une bénédiction pour elle d’avoir évité Azkaban…
*Pour sa santé mais aussi pour son avenir.* Il ne pouvait s’empêcher, anxieux, de songer au futur de sa chère fille. Elle démontrait par elle-même que le temps était venu pour elle de revenir à une certaine stabilité, de retrouver la routine d’une vie de château, d’avoir un seigneur et maître pour veiller sur elle. Elle qui était si fragile…
*Evidemment, la mère de Victor ne sera pas ravie, je sais à quel point les Habsbourg détestent les Fyodorovitch…* Il avait noté la froideur subite de son neveu à cette idée. Mais puisque lui seul ne semblait plus apte à protéger sa cousine… *Peut-on la protéger contre elle-même ?...* Ces pensées le dévastaient, et non, non, il ne pouvait pas croire qu’elle fut définitivement folle. Après tout, sa mère aussi souffrait d’hystérie passagère… Ses sourcils se froncèrent. *Si seulement… Si seulement cet imbécile de Misfits me laissait lui parler.*
En effet, le psychomage ne l’autorisait à la visiter que visuellement, pour qu’il puisse s’assurer de sa santé, rappelant les malheureuses circonstances troubles qui l’avaient amenée là. Elle était toujours atrocement maigre, et son regard vide ne pouvait s’accrocher qu’aux murs immaculés de sa cellule capitonnée… Comment comptaient-ils la ramener à la raison exactement ? En l’abrutissant ?...
Rageux, il tourna dans le couloir publique réservé aux pathologies mentales, au fond duquel se trouvait une porte verrouillée qui le mènerait à elle… Mais sans doute marchait-il trop vite, ou la jeune femme qu’il venait de heurter ne regardait pas devant elle, quoi qu’il en soit, le choc le sortit de ses réflexions amères, et sa colère retomba quelque peu face à son air perdu.
- Je suis vraiment désolé, je ne vous avez pas vu, j’étais distraite…
Ses yeux bleus avaient quelque chose de singulièrement hypnotique. Il se souvenait de l’avoir brièvement rencontrée, lors de l’inscription d’Alice à Poudlard… Elle avait pris en charge le don de livres qu’il faisait à leur bibliothèque pour lui permettre d’accéder au poste de préfète malgré son arrivée tardive. Il lui accorda un sourire un peu triste.
- Ne vous excusez pas, Madame. Je commence à trop bien connaître ces lieux pour savoir à quel point ils peuvent troubler…
Son regard d’un vert violent s’attarda douloureusement sur la porte au fond du couloir avant de revenir à elle. Avait-elle un enfant, un parent souffrant de troubles cérébraux, elle aussi ?... Sa curiosité n’était, il le savait, que destinée à repousser l’échéance de la vision frustrante de sa propre fille. La connaissait-elle ?... Avait-elle pris part à son renvoi ? Subitement soucieux de sa couverture, il reprit la parole.
- Je vous prie d’accepter mes excuses pour tous les troubles que ma fille a pu causer dans votre école. Et vous assure qu’ils sont moindres que ceux qu’elle me fait subir…
Il eut un soupir las. Depuis sa naissance, tout ce qu’il avait fait avait finalement été pour elle, pour ses intérêts, son bien-être. Il s’était presque oublié… Le souvenir brumeux d’une Katerin Davidson à moitié dévêtue qu’il abandonnait dans une pièce en s’excusant s’imposa à son esprit. Tout ce qu’Alison avait cédé à sa fille était son instabilité… Il ne lui devait plus rien. Ni fidélité, ni cet amour qu’elle n’avait jamais partagé. Alice n’était pas elle… Alice était un être unique, comme tout un chacun, et il ne s’en apercevait qu’à présent. Sa première erreur de père…
- J’avoue que vous m’offrez un fabuleux prétexte de retarder ma visite. Elle n’en a de toute façon aucune connaissance… Puis-je vous offrir une tasse de thé, en guise d’excuse pour vous avoir bousculée ?
Son sourire était faible, incertain, et il espérait à moitié qu’elle refuserait…